Nous venons de parler de Clairvoyance en état d’hypnose, état fréquent chez les somnambules de profession. C’est là ce que les médiums appellent la transe, où les sens normaux s’assoupissent, où diminue la conscience, où s’exaltent le subconscient, et, éventuellement, les autres moyens de perception de la faculté clairvoyante. Tels sujets voient parce qu’un hypnotiseur les a endormis. Tels autres se mettent eux-mêmes dans l’état du sommeil ou, tout au moins, de cette « absence » qui libère et stimule la lucidité I. Qu’est-ce donc que la transe, l’état second ? On n’en sait rien. Disons : un état psycho-physiologique qui peut se traduire par un sommeil profond, mais qui, nécessairement, existe à quelque degré, chez tous les médiums e action, même ceux qui conservent le plus l’apparence de n’en pas subir les effets et qui « font de la voyance » avec, semble-t-il, autant de contrôle d’eux-mêmes que s’ils donnaient une conférence ou participaient à un dialogue ordinaire.

Notons qu’on a essayé, non sans résultats curieux, de susciter o d’exalter la faculté de Clairvoyance par le moyen du Lophophore di Williams  : le Péyotl, la « plante qui fait des yeux émerveillés ». C’est en absorbant des éléments de cette Echinacée, ou le suc de la plante Yajé, que les Indiens du Mexique reussissent à retrouver les objets perdus.

Les moyens d’information du médium clairvoyant.

A tous ses degrés, même imperceptibles, la transe, pour bien des « sujets », est puissamment favorisée dans ses effets, et pour la qualité de ses vues sur l’inconnu, par la mise en oeuvre de perceptions supranormales, qui naissent d’elle comme autant d’utiles moyens d’approche. C’est ainsi qu’elle emprunte à l’audition, interne ou externe, de voix, de musiques ou de rumeurs informatrices. Il lui advient d’être instruite d’un fait utile à révéler, soit par la perception d’une odeur , soit par une impression gustative, ou tactile, ou visuelle, ou motrice.

Un médium vous dira, comme le déclara un jour M. de Fleurière : « Dans ma prise de connaissance, il y a des éléments multiples : de la lumière, de la chaleur, de la trépidation, des courants électriques ou magnétiques, parfois jusqu’à des effluves odoriférants. Je puis voir « intérieur psy-chique » des gens, tout illuminé, ou dans le noir. Pour certaines personnes, je vois la vie monter comme un rayon lumineux. » D’autres confesseront : « Près de moi, une musicienne se définit par le timbre de l’instrument dont elle joue, un marin par la senteur du varech, du goudron. » Il y a des cas plus subtils encore. Je m’excuse d’en citer un, qui me concerne. Un soir, parmi cent personnes inconnues, à l’Institut métapsychique de Paris, je passe devant une dame qui, aussitôt, me délègue une forte odeur d’absinthe. Or, elle s’appelait, de son nom de jeune fille, Pernod. D’autres fois, c’est par un jeu de calembour que j’obtiens un résultat.

Longeant la bienséance d’un spectateur de la séance, j’entends soudain (audition interne) prononcer : « Cadet ». Je dis à cet Homme: « Votre nom est Cadet ? Non, réplique-t-il amusé  et moi aussi  je m’appelle Roussel. »

La bonne humeur et la confiance : autres moyens.

Qu’il me soit permis d’observer, en passant, que cet « humour médiumnique » m’est, je crois, assez particulier. Il correspond expressément à mon caractère qui n’a rien de morose et il ne contribue pas pour peu à me rendre très plaisantes, et partant peu fatigantes, des heures de travail en public que, si l’on ne m’arrêtait, je prolongerais bien volontiers. On ne saurait concevoir le plaisir que je trouve à voir se succéder sous mes yeux des peintures et des aquarelles, des intérieurs parfois aussi minutieusement décrits qu’on en peut trouver chez Balzac, à entendre des dialogues, des rires, même des plaintes, à « visualiser )) des portraits que mon interlocuteur peut reconnaître exacts, à sentir les produits du laboratoire pour un chimiste, le chloroforme pour un chirurgien, certains goûts dans la bouche pour un diabétique, et l’arôme de la fleur d’oranger pour une demoiselle qui se mariera dans huit jours. Et lorsqu’une voix me crie tout à coup à l’oreille : « Nogaret ! » tandis qu’au fond de la salle je désigne un monsieur inconnu, quelle ,* récompense que d’entendre l’interpellé s’exclamer : « Nogaret ? c’est le nom de ma belle-mère ! Elle m’a écrit ce matin et voici sa lettre ! » Cette allegria du médium à l’ouvrage, je crois la posséder pleinement, et bien que, comme je l’ai écrit, chacun opère, en ce domaine, selon sa nature, je ne pense pas ma faire en proposant, à tous ceux qui ont le don, cette manière familière d’en agir avec la Clairvoyance et qui revient bien moins à se tenir, gravement, pour un “confident des Dieux” qu’à les tutoyer un peu, je n’ose pas ajouter : en camarade. Quoi qu’en jugent… les autres, je suppose qu’ils s’en font de mon avis quand je dirai : « Le tout, dans ce genre d’exercice, c’est d’avoir confiance. » Le plus richement doué des clairvoyants est souvent condamné à l’échec s’il apporte des réserves à ses possibilités de réussite. N’est-il pas déjà bien fâcheux que, par d’insidieux retours de la conscience, de la raison raisonnante, le clair-voyant soit si fréquemment tenté d’arrondir les angles de sa vision, si l’on peut ainsi s’exprimer, et de façonner son inspiration, suivant ce qu’il présume être la logique et le bon sens ? Alors, tout est, dans son effort, gâché et perdu. Il a éliminé des perceptions apparemment déraisonnables, et c’était tout juste ce qu’il fallait dire. Le conscient insurgé l’a trahi.

Le rêve monitoire.

Cette lutte avec le conscient est sensiblement atténuée lorsque le sujet est en état d’hypnose. De même se défend-il moins, chez tout le monde, pendant le sommeil, quand, au cours d’un rêve, intervient, de quelque manière, confuse ou parfaitement nette, une indication métagnomique. La conscience « distendue », pourrais-je dire, ne maintient plus là ses moyens ordinaires de con-sidérer le monde intérieur et le monde extérieur, et c’est avec raison qu’on a rapproché le sommeil naturel de ceux de l’hypnose et de la transe. Cette disposition du mental ménage, en quelque sorte, dans le plan où s’architecture la pensée, des « seuils » par où peut entrer, plus aisément que dans l’état de veille (où la raison garde le chantier), le peuple des pressentiments, des avertissements télépathiques, des monitions et des prémonitions. Une femme, en hypnose, suit les étapes d’une inflammation péritonéale. Une autre prévoit, de quinze jours, une typhoïde dont, dit-elle, elle mourra. La maladie, la mort confirment l’autoscopie. M. Dencausse, père de Mme Fraya, la voyante si réputée, a soixante-seize ans en 1916. Au mois de mai, et bien que sa santé soit, somme toute, satisfaisante, il dit : « Je mourrai avant l’hiver ». II maigrissait et se nourrissait mal. Vers le 24 octobre, il précise le jour de sa fin : la Toussaint.

Le 28, le docteur Geley ne découvre aucune lésion organique, et rien qu’une légère bronchite. « Ce sera à minuit sonnant, confirme le vieillard, et je mourrai sans souffrance ni agonie. » Le mardi 31 se déclare une pneumonie. Le 1 er novembre, grande faiblesse. Vers 23 h. 30, le malade demande l’heure. On répond, pour démentir pieusement sa prévision : « Deux heures du matin. — Non, rectifie-t-il, il n’est pas minuit. A minuit, je mourrai. » Quand sonne la pendule, il lève une main qui retombe. Il est mort A Messine, un enfant dit à sa mère, qui le chausse de laine avant de le coucher : « Tu me mets les chaussettes de la mort. » Pendant la nuit, c’est la catastrophe qui détruit la ville : l’enfant est écrasé.

N’accumulons pas les exemples d’auto-diagnostics exactement portés par des sujets en bonne santé ou malades, mais convenons avec le professeur Charles Richet que « c’est peut-être par cette autoscopie interne que peuvent s’expliquer bien des cas authentiques d’auto-prémonitions ». Abordons maintenant les diagnostics formulés par Clairvoyance et pour autrui. Cette sorte de lucidité a été niée plus que beaucoup d’autres. Il semblait inadmissible qu’un médium, maniant une boucle de cheveux, pût dire : « La personne de qui viennent ces cheveux a une poche sous le coeur et qu’il faut vider. » Exacte vision, puisqu’il s’agissait d’une caverne tuberculeuse, pleine de pus, à la base du poumon gauche. Au moins fut-on bien surpris en présence du fait suivant : le docteur Terrien, président de la Société de médecine de Nantes, visite un malade à 8 kilomètres de cette ville et est retenu par un enfant qui, tombé d’une échelle, s’est blessé au genou. Au même moment, une petite couturière, chez Mme Terrien, racontait l’accident en tous ses détails 1. Et depuis, un grand nombre de contrôles ont prouvé la réalité de cette forme de voyance, autant que celle des autres. Parfois l’expérience se présente comme une vue sur le passé. Le médium Mlle de Berly, dans un appartement où elle n’est jamais venue, avise, au mur, le portrait d’un enfant de quatre ans et dit : « Pauvre enfant, il est mort à douze ans, de la tête. » L’hôtesse entre et reconnaît : « Cet enfant est mort, vers douze ans, d’une méningite. » Le 18 novembre 1925, en séance publique, je dis à une dame inconnue, tout en étreignant mon poignet : « Vous avez là des douleurs, des torsions musculaires. » Depuis quelques jours, avec, crises et sensations de torsions, cette personne souffrait de douleurs au poignet. Plus loin, nous parlerons d’une expérience capitale, celle dite « de la chaise vide ».