Est-il possible qu’un médecin et astrologue français du 15 eme siècle ait prédit la montée du communisme, l’abdication du roi d’Angleterre Edouard VIII par amour pour une divorcée, et même l’attaque japonaise sur Pearl Harbour ? Les quatrains symboliques de Nostradamus auraient annoncé des événements survenus dans le monde entier depuis l’époque de sa mort et d’autres drames à venir, notamment le cataclysme amenant la fin du monde. D’autres visionnaires ont consigné par écrit leurs prédictions d’une ruine universelle imminente. Qu’annoncent donc leurs visions ? Que peut-on espérer après cette dévastation ?
Il est minuit et l’astrologue monte l’escalier en colimaçon pour gagner son bureau secret en haut de la maison. Il sait qu’il n’y sera pas dérangé, sa femme retiendra les visiteurs importuns. Il s’assied devant un tabouret de cuivre à trois pieds, place une baguette de laurier entre ses jambes et se met à asperger d’eau le bord de sa houppelande et ses pieds. Pendant un moment il se sent terrorisé par la puissance qu’il est sur le point d’évoquer. Puis son courage revient, il pose un bol d’eau sur le tabouret et regarde en silence dans le liquide. Au bout d’un moment la puissance lui « parle » et il est « divinement possédé ». L’eau se trouble et il y voit l’avenir, images de guerre, famines, tremblements de terre, incendies et désastres. Allumant une bougie, il entre alors en transe et son voyage dans les temps futurs le mène de plus en plus loin en apportant davantage de détails. Alors que la voix de l’espace poursuit et que des images apparaissent dans l’eau, il consigne ses visions dans un épais cahier de vélin. Son activité dure jusqu’à l’aube. Avec les premières lueurs, il n’entend et ne voit plus rien. Il s’appuie sur le dossier de sa chaise, épuisé. En bas, sa femme va bien-tôt préparer le petit déjeuner. Dans un instant il la rejoindra, mangera avec elle, lui parlera des révélations qu’il a eues et se reposera jusqu’à la nuit prochaine reprenant ainsi son travail de divination. On dirait quelque mélodrame à l’ancienne mode, mais c’était une affaire sérieuse pour l’homme en question, le médecin et astrologue français Michel de Nostre-Dame, connu sous le nom de Nostradamus. Pour lui, il n’y avait rien d’absurde dans ce qu’il faisait ou dans ce qu’il voyait et entendait. C’était le moyen naturel, le seul, par lequel il pourrait, comme il l’a dit, « laisser un souvenir de moi après la mort pour le bénéfice commun de l’humanité, concernant les choses que la Divine Essence m’a fait connaître par des révélations astronomiques ». Nostradamus écrivit ces mots à son fils dans la dédicace de la première édition de ses fameuses Centuries, publiée à Lyon en mars 1555. Dans son oeuvre, le terme centuries ne se rapporte pas à des périodes d’une centaine d’années, mais à des séries de prophéties dont le nombre s’élève à cent par fascicule. Bien que les prophéties reçues par Nostradamus fussent parfaitement claires, il ne les a pas présentées à ses lecteurs de façon intelligible. Pour ne pas offenser l’Église et pour éviter une panique parmi la population, il les écrivit sous forme de quatrains dans un langage obscur et symbolique. Éminent érudit, Nostradamus usait dans ses quatrains d’un mélange de calembours, d’anagrammes (il écrivait, par exemple, Ripas pour Paris), de français, de latin et d’une langue inventée par lui.

« Si j’évoquais ce que sera l’avenir », expliquait-il, « ceux du royaume, des sectes, de la religion et de la foi le trouveraient si peu conforme à leurs toquades qu’ils en viendraient à condamner ce dont les temps futurs reconnaîtront comme vérité ».

Dans une lettre à son protecteur, le roi de France Henri II  dont, soit dit en passant, il prédit exactement la mort.

Nostradamus ajoutait : « Certains pourront répondre que la poésie est aussi facile à comprendre qu’un coup de poing sur le nez, mais que son sens est plus difficile à saisir. » L’astrologie connaissait alors une vogue qu’elle ne retrouvera pas avant les années 1930. Nostradamus fut soupçonné d’avoir fait un pacte avec le Diable. Homme vertueux élevé dans la crainte de Dieu, dont on savait qu’il avait brûlé des ouvrages d’occultisme allant contre les canons de l’Église, l’astrologue citait pour sa défense la Bible, d’après saint Matthieu (VII.6) : « Seuls ceux qui sont inspirés par la puissance divine peuvent prédire des événements particuliers dans un esprit de prophétie. » Sa vertu et son inspiration « divines » venaient directement, assurait-il, du Dieu créateur qui l’utilisait comme porte-parole de ses plans et de ses intentions pour l’avenir. Mélangeant savoir et intuition, Nostradamus s’intéressait aux faits futurs plutôt qu’aux dates. Il donna même une date fausse pour sa propre mort, car il disparut en juillet 1566 et non en novembre 1567 comme il l’avait prédit. Ce qui d’ailleurs ne nuit en rien au succès des Centuries qui, d’édition en édition, s’impriment depuis près de quatre cents ans. Ses méthodes nocturnes de divination s’inspiraient largement d’un ouvrage ancien intitulé De Mysteriis Egyptorum, dont une édition avait été publiée à Lyon en 1547. Son auteur, un philosophe grec du 4e siècle, du nom de lamblichus, recommandait fortement de se vêtir d’une houppelande, d’employer une baguette et un tabouret à trois pieds. Pour les disciples ultérieurs de Nostradamus, un tel apparat donnait plus de poids à ses prédictions.

Quand litières seront retournées par trombe de vent et que visages seront masqués, la nouvelle république sera troublée par son peuple.

A ce moment rouges et blancs prendront des décisions funestes.

Cela a été interprété comme l’annonce de la Révolution française de 1789 et de la venue de ce que Nostradamus appelait l’Avènement du commun, c’est-à-dire la prise du pouvoir par l’homme du commun. Par « rouges » et « blancs » il faudrait entendre l’époque de Robespierre et de la Terreur, le blanc étant la couleur des Bourbons jetés à bas de leur trône et le rouge celle des révolutionnaires. Une de ses rares prédictions indiquant une date déterminée a également trait à la Révolution française. Dans une lettre au roi Henri II du 27 juin 1558, Nostradamus prévoyait un soulèvement contre l’Église, disant : « Ce sera en 1792, année qui sera aux yeux de chacun l’âge du renouveau. » De fait, la République française, fille de l’anticléricalisme, vit le jour en septembre 1792. L’année précédente avait vu la fuite de Louis XVI et de Marie-Antoinette qui, ainsi que l’astrologue l’avait prédit, empruntèrent de nuit « un chemin détourné » avant de tomber aux mains de la populace et d’être décapités. Il est tout naturel que certaines des prophéties les plus exactes de Nostradamus, qui était français, aient concerné son pays.

Dans le septième quatrain de la Première Centurie comme un voyant d’aujourd’hui, il parle de « lettres interceptées en chemin », prédiction qui pourrait s’appliquer à la célèbre affaire Dreyfus trois cent trente-neuf ans plus tard. Dans ce déchaînement de l’antisémitisme qui divisa le pays, Dreyfus, bien qu’innocent, fut injustement condamné sur la foi de lettres interceptées qu’il aurait adressées aux Allemands. Avant d’être réhabilité, Dreyfus vit son cas étudié par un personnage du nom de Rousseau comme Nostradamus l’avait prédit. Ce ministre était si violemment antidreyfusard qu’il conclut une deuxième fois à la culpabilité de l’officier alors que l’innocence de Dreyfus fut totalement reconnue peu de temps après. A ces prédictions faisait suite la vision du massacre à Nantes en 1793 où un millier d’habitants opposés aux révolutionnaires furent guillotinés ou noyés dans la Loire : « Cris, gémissements lamentables à Nantes » furent les mots de Nostradamus. Napoléon apparaît dans un certain nombre de prophéties annonçant entre autres sa naissance (« un empereur naîtra près d’Italie, dont empire coûtera cher »), sa retraite de Moscou en feu de l’hiver 1812-1813 (« masse d’hommes s’approchera… le Destructeur ravagera la grande cité »), ainsi que sa défaite à Waterloo en 1815, où le Léopard (l’Angleterre) et le Sanglier (la Prusse) écrasèrent l’Aigle (Napoléon). Toutefois, comme il l’a dit lui-même, Nostradamus a eu une préconnaissance touchant plus d’un pays ou d’un continent. Quelques-unes de ses plus fascinantes prophéties concernent les États-Unis, leurs habitants et leurs dirigeants politiques. A trois reprises dans les dix livres des Centuries on trouve des mentions telles que « le grand homme… foudroyé en plein jour », « le grand personnage tombera », « le monde perturbé par trois frères ; leurs ennemis vont s’emparer de la ville marine, faim, feu, sang, peste et tous les diables portés au double ». On y voit en général l’annonce de l’assassinat du président John Kennedy, la prémonition du meurtre de son frère Robert et l’indication que le sénateur Edward
Kennedy aurait des ennuis.

La destruction de New York semble avoir été prévue par l’astrologue dans trois passages où il est dit que « l’embrasement sismique fera trembler la Nouvelle Cité », « le ciel s’embrasera à 45°, l’incendie s’approchera de la Grande Cité nouvelle » et « le roi voudra faire son entrée dans la Nouvelle Cité ». En dehors de la dévastation et de l’invasion de New York, Nostradamus a prédit que la totalité des États-Unis serait impliquée dans le cataclysme d’une troisième guerre mondiale. Celle-ci sera déclenchée par la Chine et se terminera avec un ciel rempli « d’armes et de fusées » et des dommages immenses « causés à gauche » (ici, l’hémisphère occidental). Ce qui rend cette prophétie particulière encore plus terrifiante que les autres, c’est la façon dont le sixième quatrain de la Deuxième Centurie décrit apparemment le lancement de bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki en 1945 :

Près du port et dans deux villes seront deux fléaux comme jamais n’ont été vus. Faim, peste, les gens culbutés par le glaive appelleront à l’aide le grand Dieu immortel.

On l’a interprétée comme s’appliquant aux bâtiments et cuirassés américains en flammes lors de l’attaque japonaise sur Pearl Harbor en décembre 1941. Quant à l’Angleterre, dans la Deuxième Centurie, l’astrologue prévoyait l’abdication du roi Édouard VIII qui renonça au trône pour épouser Wallis Simpson, Américaine deux fois divorcée. « Le jeune homme né pour le royaume de Grande-Bretagne que son père mourant lui a légué… Londres sera en conflit avec lui et le royaume sera repris au fils. » Au moment de sa mort, Nostradamus avait prédit des événements aussi divers et sans lien entre eux que la conquête du pouvoir en France par le général de Gaulle, la mort d’Hitler dans son bunker berlinois, l’effondrement de la ligne Maginot dans la Seconde Guerre mondiale et l’épidémie de grippe qui sévit sur le monde en 1918-1919, « la pestilence » faisant suite à « l’effroyable guerre ». L’oeuvre de Nostradamus ne fut pas officiellement condamnée par un tribunal pontifical jusqu’en 1781, où elle fut mise à l’Index.

Il fit sa prophétie la plus fameuse un soir d’été de 1788 vers la fin d’une réception donnée dans ses jardins par la duchesse de Gramont. Protégé de la maîtresse de maison, Cazotte justifiait sa présence à ces réunions en lisant ses odes ou sonnets les plus récents. Ce qu’il faisait d’habitude avec calme et gentillesse. Mais ce soir-là le poète révéla le côté mordant de sa nature et de son talent. Ce fut quand Guillaume de Malesherbes, un des ministres de Louis XVI, leva son verre « au jours où la raison triomphera dans les affaires des hommes, même si je ne dois pas vivre assez pour le voir ». Cazotte fonça sur lui et son masque mondain tomba : « Au contraire, Monseigneur », s’exclama-t-il, « vous vivrez et verrez ce jour à vos dépens ! Il viendra dans cinq ans avec une grande révolution française ! » Tandis que les invités l’entouraient bouche bée, Cazotte se tourna vers plusieurs autres hommes politiques et courtisans de haut rang et leur dit ce que serait leur destin. Le favori du roi, Chamfort, rejoindrait son ami Malesherbes sur la guillotine, lui prédit-il, le marquis de Condorcet « échapperait au bourreau » en s’empoisonnant, quant à la duchesse elle-même, « elle irait à l’échafaud dans une charrette de bûcheron ». Tandis que l’émotion s’apaisait peu à peu, les aristocrates commencèrent à rire sous cape entre eux. Puis l’un des assistants, un athée nommé Jean Laharpe, qui écrivit plus tard un long récit de la soirée, fit un pas en avant. — Et moi, monsieur Cazotte ? » demanda-t-il avec ironie. « Ne me dites pas que de tous je suis le seul que la guillotine n’attend pas ! » Cazotte lui sourit. « Vous lui échapperez, Monsieur », répliqua-t-il, « mais seulement pour connaître un sort encore plus horrible. Car vous, monsieur l’athée, vous deviendrez un chrétien dévot et heureux de l’être ! » A ce coup, les rires redoublèrent. Mais Cazotte eut le dernier mot. Tout se passa comme il l’avait annoncé et Laharpe dont la conversion au christianisme fit sensation à l’époque légua son manuscrit sur Cazotte et ses « prédictions ridicules » au monastère où il était devenu un homme de Dieu. La prédiction de la mort violente de Louis XVI est restée l’exemple type des pouvoirs de prémonition jusqu’au matin du 13 mai 1917. Ce jour-là, trois petits enfants gardaient tranquillement des moutons dans les collines près du village de Fatima au centre du Portugal. Lucia dos Santos, dix ans, ses cousins Jacinta, sept ans, et Francisco, neuf ans, virent soudain deux éclairs aveuglants. La lueur venait d’un chicot de chêne peu éloigné. Au centre de la « boule de lumière » se trouvait une femme ravissante. Figés sur place les enfants la regardaient fixement ; elle leur demanda de ne pas avoir peur. « Je ne vous ferai pas de mal », dit-elle en devenant floue avant de disparaître peu à peu. Ses derniers mots furent de demander aux enfants de revenir à cet endroit le 13 de chaque mois jusqu’en octobre, où un grand et terrible secret leur serait révélé. En dépit d’une raclée reçue de leurs parents pour avoir « raconté des mensonges », Lucia et ses cousins accompagnés d’une cinquantaine de curieux du village étaient de retour sur la colline le 13 juin à midi s’agenouillèrent en disant leur chapelet et la ravissante dame apparut, venant de l’ouest, comme une « resplendissante messagère de Dieu ». Cette fois son message ne fut pas aussi encourageant.

Elle assura que Jacinta et Francisco seraient bientôt « appelés au Ciel » et que Lucia ne resterait en vie que pour répandre le message de la Madone. Du coup la croyance se raffermit. Cette visiteuse ensoleillée était la Vierge Marie. Celle-ci apparut à nouveau le 13 juillet. Devant un public de plus de cinq mille personnes seuls Lucia, Jacinta et Francisco pouvaient la voir elle annonça une catastrophe à venir qui serait encore plus grande que la Première Guerre mondiale et amènerait la fin du monde. Le premier signe du désastre se verrait dans les cieux « une lumière brillante et inconnue, qui sera le signe que Dieu est sur le point de punir les peuples du monde pour leurs crimes ». A nouveau les trois enfants furent battus et même emprisonnés. On les accusait de blasphémer et de semer la panique chez les adultes du village. Mais l’obstination des enfants impressionnait tout le monde. En 1846, l’histoire d’une vision analogue apparue à deux petits bergers de La Saiette, en France, renforçait l’intérêt et amenait à y croire.