Depuis toujours, l’homme cherche à connaître l’avenir en scrutant les animaux, les cartes ou le corps humain

LA DIVINATION

HENRY CALLAWAY, anthropologue an-glais, nous raconte l’histoire d’un paysan d’Afrique du Sud, préoccupé par sa chèvre qui devait mettre bas : « Nous sommes allés voir un devin qui dit l’avenir avec les os… Il a pris un peu de médecine, l’a mâchée et a soufflé dans le sac où il garde les os… Il les a frottés, puis les a répandus sur le sol en disant « O, que veut dire ma chèvre ? Il y a deux « chevreaux, un blanc et l’autre, le voici, il est « gris. Que veulent-ils dire ? » « Nous avons répondu, « Nous ne savons « pas, l’ami. Ce sont les os qui nous le diront. » « Alors il a dit : « Cette chèvre, une chèvre noire, est « grosse, elle est grosse de ses petits. Mais c’est comme si « elle n’avait pas encore mis bas. Mais que dites-vous ? « Vous dites, la chèvre est en difficulté. O, je dis pour ma « part, quand je vois les os qui parlent ainsi, je dis que les « petits maintenant sont nés… Les os disent : Quand vous « rentrerez à la maison, la chèvre aura mis bas deux « chevreaux… » Voilà ce que disent les os. » « Nous lui avons donné de l’argent et nous sommes rentrés chez nous, poursuit le fermier, mais je ne croyais pas un mot de ce qu’il avait dit, car les os n’avaient pas parlé… Pourtant, quand nous sommes arrivés à la maison, la chèvre se tenait sur le pas de la porte avec deux chevreaux  un blanc et l’autre gris. J’étais bien content. Nous avons fait un sacrifice et nous avons remercié l’Amatongo. >> Depuis l’aube de l’histoire, partout dans le monde, l’homme pratique la divination pour sonder le présent mystérieux et prédire l’avenir. Le rituel a changé avec le temps, mais son objet est demeuré le même : acquérir les con-naissances secrètes, si possible par des voies divines, qui permettent de résoudre les grands et petits problèmes de la vie. C’est ainsi que les rois demandaient aux oracles de leur indiquer les meilleures stratégies pour leurs campagnes militaires, que les amants s’enquéraient du meilleur moyen de conquérir l’objet de leurs voeux.

Les arts divinatoires seraient-ils nés de cette intuition qui nous fait dire que l’espace et le temps ne sont pas tels que nous les percevons ?

Comme l’a écrit T. S. Eliot : Le temps présent et le temps passé Sont peut-être tous deux présents dans le temps futur, Et le temps futur contenu dans le temps passé. Si tout le temps est éternellement présent Tout le temps est à jamais perdu. S’il faut en croire le grand poète anglais, la divination est alors théoriquement possible. Il s’agirait simplement de scruter un avenir déjà défini et cristallisé dans le présent. Ou cette activité humaine aussi ancienne qu’universelle ne ferait-elle que nous prouver la vulnérabilité de l’intellect humain au désir et à la crainte ? Plus simplement, une question fondamentale se pose aussi : la divination donne-t-elle vraiment des résultats concrets ? Les grandes civilisations de la Grèce et de la Chine furent parmi les plus avancées de toute l’Antiquité. Deux événements illustrent la continuité de la tradition de la divination dans ces deux berceaux de la pensée moderne, de la littérature, de la science et des techniques : l’un est très ancien, l’autre contemporain. L’historien grec Hérodote nous raconte l’histoire d’une prédiction faite au roi Crésus de Lydie, dont le nom est devenu symbole de richesse. Crésus s’apprêtait à partir en campagne contre la Perse, au vie siècle avant Jésus-Christ. Soucieux de mettre toutes les chances de son côté, il voulait s’assurer les services du meilleur oracle. Il en mit plusieurs à l’épreuve en leur demandant de dire quelle était l’action secrète à laquelle il se livrait. La meilleure description fut celle de l’oracle de Delphes, où l’une des prêtresses dit que le roi « faisait bouillir un agneau et une tortue dans un chaudron de bronze fermé par un couvercle du même métal >> . Satisfait dé la réponse de l’oracle, Crésus lui demanda de faire une prédiction sur l’attaque qu’il projetait contre les Perses. La prêtresse répondit que s’il traversait l’Halys, ce qui revenait à ouvrir les hotilités, le roi « détruirait un grand em-pire >> . Malheureusement, lorsque Crésus marcha avec ses troupes sur la Perse, il ne réussit qu’à détruire son propre empire. Dans la plus pure tradition des oracles, la prédiction était vérifiée. De nos jours, la divination a été mise à l’épreuve en juillet 1976, lorsqu’un terrible tremblement de terre ravagea le nord-est de la Chine, notamment la grande ville indus-trielle de rang-Shan. Malgré le silence des pouvoirs publics, la nouvelle du désastre se répandit dans toute la Chine et fut interprétée par le peuple comme un présage du décès imminent de Mao Tsê-Tung et d’une période de troubles civils. Les autorités s’alarmèrent de ce besoin de donner une signification surnaturelle à une catastrophe naturelle. Pour y mettre bon ordre, la presse officielle, dont la revue de géologie Scientia Geologica Sinica, condamna cette tradition primitive et antimarxiste. La revue rappela, par exemple, que certains disciples de Confucius s’étaient servis de la chute d’un météore, en 1064, « pour semer la confusion dans les masses en répandant des rumeurs néfastes » . Pour-tant, un peu plus tard dans le courant de l’année 1976, lorsque Mao mourut, son décès fut effectivement suivi d’une période de troubles.

A Rome, les devins lâchaient un poulet au milieu de grains de blé semés près de lettres disposées en cercle. Les lettres qui n’étaient pas touchées servaient à faire des prédictions.

On ne peut manquer d’être frappé par le caractère véritablement universel de la divination. N. Mkele, spécialiste sud-africain des devins, nous dit par exemple « que la pensée africaine repose sur une conviction fondamentale, à savoir que la nature des choses est ordonnée et que l’homme peut influer sur cet ordre ». En Afrique, le devin s’occupe très souvent de la maladie. Les Xhosas et les Zoulous, selon Mkele, croient que le devin dispose « de pouvoirs surnaturels de connaissance qui lui permettent, non seulement de décrire le cours de la maladie du patient, mais aussi de dire s’il a été ensorcelé et par qui, si sa maladie est religieuse ou si elle est due à des causes naturelles >> . Pour ces sociétés, le devin a accès aux dieux ancestraux et « rien ne saurait lui être caché » On retrouve des pratiques semblables chez les Nyoros d’Ouganda. Selon John Beattie, auteur d’un essai sociologique sur la question, les. Nyoros « consultent les devins lorsqu’ils sont en difficulté, qu’ils veulent savoir la cause de leurs malheurs et ce qu’ils doivent faire. Le cas le plus courant est la maladie et la plupart des consultations portent sur la santé d’un client, ou celle de son enfant ou d’un autre parent proche. » Comme dans de nombreuses autres tribus africaines, les coquillages jouent un rôle important dans la divination des Nyoros. Le devin fait sa prédiction tantôt en observant la manière dont un coquillage lancé en l’air tombe à terre, tantôt en posant une question au coquillage, puis en le tenant à l’oreille pour écouter sa réponse. Comme les Anciens, les Nyoros examinent aussi les entrailles des animaux, technique qui était déjà utilisée dans l’ancienne Babylone. Le devin nyoro emploie généralement un poulet qu’il éventre avec de grandes précautions, sans toucher les intestins. Si les organes internes sont en bon état, le signe est favorable. Les taches, les grosseurs et les lésions sont autant de mauvais présages, mais « s’il n’y a pas de tache et si les intestins sont dans leur position normale » , alors « le patient retrouvera la santé >> Les anthropologues supposent que la divination par les entrailles est née à l’occasion des sacrifices d’animaux. Aucune preuve écrite ne confirme cette thèse, qui n’en est pas moins fort plausible, car ces sacrifices étaient fréquents. Le devin utilise donc les entrailles ou les os, tout comme on examine les coquillages, les feuilles de thé, le marc de café, les filaments du blanc d’oeuf ou les dés dans d’autres cultures.